Entretien d’un groupe de journalistes avec la voix la plus autorisée du Laakam, Jean-Claude SHANDA TONME, intellectuel engagé, écrivain et homme politique aux positions tranchées sur la nécessité du dialogue et de la réconciliation.
L’ampleur de la richesse constituerait-elle un obstacle pour l’harmonie et la sérénité dans les successions chez les milliardaires Bamilékés ?
Question : Monsieur le Président Shanda Tonme, voici quelques successions à problème : Kouam Samuel, Kadji de Fotso, Monkam Pascal, Koloko Levis, Ndjoko, Monthé, Tognia Jean, André Sohaing. La liste des successions querellées et bruyantes donnant lieu à d’interminables batailles devant les tribunaux s’allonge et va très certainement continuer à s’allonger, et ce ne sont là que les exemples les plus connues et les plus médiatisées. Peut-on conclure à l’échec des successions chez les milliardaires Bamilékés ?
R : Vous répondez sans doute à votre propre question par le simple fait de la formuler de cette façon, tendancieuse peut-être, mais réaliste sans aucun doute. Je voudrais toutefois, relativiser en vous invitant à éviter un ciblage dans l’absolue sur les Bamilékés, parce que je peux vous produire le cas de la succession Soppo Priso qui dure depuis au moins trois décennies et qui aura donné lieu àbrouille des plus déplorables. Je m’autorise d’ailleurs, dans la même lancée, d’évoquer la succession Fouda André, même s’il n’était ni homme d’affaires ni milliardaire au sens de la fortune financière massive.
Q : Vous semblez vouloir contourner le sujet, lequel nous le répétons, émerge à cause d’une actualité qui met en exergue, des images piteuses et regrettables de batailles rangées entre des fratries, alors que du vivant de leur père, rien ne laissait présager ce genre de guerre. La dernière en date ce sont les Monkam, où l’on a vu apparaître dans la presse, une demande de désignation d’un administrateur séquestre. On n’évoque même plus les Fotso, où des milices, des gros bras et une armée entière sont déployés par-ci et par-là.
R : Ecoutez, je n’ai aucune intention de me dérober, tant le sujet est clair et suffisamment précis. En principe, les successions sont régies par des us et coutumes dans chaque famille, mais également au niveau officiel, par des procédures consacrées, des actes et des faits : testament ; jugement d’hérédité ; successeur qui n’est en réalité que le premier des cohéritiers ; administrateur des biens. Maintenant, des problèmes peuvent survenir comme c’est le cas, et tout dépend beaucoup de comment le chef de famille s’est pris de son vivant, pour régler tous les détails du jour d’après. Malheureusement, ce n’est jamais suffisant, et les problèmes existent alors, y compris quand il n’y a qu’un seul lit.
Q : Pensez-vous que l’ampleur des richesses, l’immensité du patrimoine, bref une fortune colossale, est source de problèmes après la mort du père ?
R : Bien, à regarder comment les choses se déroulent, et si l’on s’en tient à quelques cas pris en exemple, il y a lieu de valider mais en le relativisant, votre postulat. Mais je dois surtout vous dire, que trop souvent, des calculs sordides sont faits et des planifications sournoises formatées du vivant même du père. Tenez, que voulez-vous attendre par exemple des enfants qui sont paresseux, qui n’ont pas assez réussi ou fait des études valables ? Ils savent se battre pour la succession et créer le désordre.
Q : Est-ce qu’une population dense d’enfants n’est pas un autre pan des causes ?
R : Ah non, pas forcément. Vous aurez toujours des problèmes, que les enfants soient nombreux ou pas, qu’il y ait plusieurs lits ou pas. Ecoutez, prenez deux ou trois successions, et faites une comparaison. Autant dans certaines familles, l’évidence saute aux yeux pour celui qui pourra succéder, autant dans d’autres, c’est le flou obscur. Souvent même le père ne se fait pas une idée définitive jusqu’à la fin de ses jours, et il arrive que des confidences faites par-ci et par-là, tantôt à des amis, tantôt au chef du village et tantôt par acte notarié, change brutalement, et pas une seule fois. Je connais en ce moment un grand Bamiléké qui est franchement souffrant. Il m’a fait venir et nous avons fait le tour de plusieurs questions, un peu comme le vieux sentant sa fin approcher. Il y a très longtemps, plus de deux décennies, qu’il m’avait indiqué son successeur, lequel est hors de la ville. Au moment de nous quitter, je lui posé la question en parabole, pour m’assurer que ce qu’il m’avait dit, tient toujours. C’est alors qu’il a mis les deux mains sur la tête : Ouais, j’ai failli oublier l’essentiel : Non, ce n’est plus ainsi, j’ai changé. Il m’a alors indiqué à un autre fils, qui vit hors du pays, et j’ai tout de suite opposé mon veto. J’ai été clair avec lui. « Je ne veux pas de quelqu’un qui viendra t’enterrer et retournera vivre à l’étranger, abandonnant ta tombe, la famille et la concession. Je veux quelqu’un qui va perpétuer ton nom, ta place, ta chaise dans la communauté, dans les réunions, dans le pays, maintenir tes œuvres et tes relations vivantes et prospères ».
Q : Y’a-t-il un souci de cette nature dans les successions qui font problème en ce moment ?
R : Je dirai non, mais quand vous prenez par exemple le cas de Monkam, vous vous souvenez que de son vivant, un des enfants qui est avocat à Paris, discutait déjà les biens de son père et menaçait même ce dernier de poursuites devant les tribunaux.Dans nos traditions de tels agissements ne sont pas tolérables et prédisposent à la malédiction. Je m’étais déplacé spécialement pour aller en discuter avec le patriarche, et en homme rempli de sagesses et de philosophies, voici ce qu’il m’avait répondu : « Shanda, mon fils, qu’est-ce qui vous prends, vous les enfants d’aujourd’hui ? Tu vois un petit manœuvre, un débrouillard comme moi qui ne sait que travailler, travailler avec ses mains et ses pieds, du matin au soir, sous le soleil, sous la pluie, et vous les petits-là, que votre intelligence vous trompe, vous pensez dire que vous allez venir discuter ses biens. Vous croyez que Monkam va construire ses chambres et ses boutiques pour que vous venez lui dire comment il va gérer. Je vais voir quel tribunal vous enseigne ça. Qu’est-ce qu’un enfant que j’ai accouché peut me faire ? C’est moi qui le nourris, un monsieur comme ça ».
Q : Vous semblez bien connaître ce papa ? Peut-on dire qu’il était un modèle ?
R : Absolument, et je prie pour que les choses se passent bien. Le père Monkam était extraordinaire en tous les points de vue. Je dois dire ici qu’une des choses qu’il a faites, c’était la délégation de gestion, mais en gardant le contrôle strict sur les investissements. Maintenant, comment allons-nous réussir un passage en douceur et en toute harmonie ? C’est est un autre problème. Je sais que jusqu’à sa mort, il tenait sa baraque. Les filles que je connais, sont toutes très intelligentes et pour certaines comme Clothilde qui gère La Falaise de Bonandjo, suffisamment initiées et entraînées par papa. Je ne pense pas qu’il y a des surprises après la mort. Comme je l’ai dit, c’est l’excès de suffisances, de convoitises et d’avidités qui engendre les problèmes. Là où de vrais managers ont émergé, les problèmes sont gérables, même avec des épouses nombreuses.
Q : Oui, vous dites tout cela, et les Fotso ? Même le testament semble contesté, alors que dans la pratique, cela ne devrait pas souffrir de doutes. Que se passe-t-il vraiment ?
R : Vous faites bien d’en parler, même si je ressensune réelle douleur en assistant au spectacle de la concession de la famille Fotso envahie par des gendarmes. J’aurais préféré mille fois me taire, garder pour moi certaines choses, certaines vérités, certaines révélations importantes. Mais puisque nous y sommes, et eu égard à ce qui se passe, peut-être que je commettrais une faute irréparable et impardonnable en me dérobant, en me taisant.
Q : Que voulez-vous insinuer au juste ? On sait que vous avez été ou êtes très proche de Yves Michel Fotso, que d’aucuns présentaient comme l’héritier indiscutable de son père et le porte flambeau de la famille. Vous avez certainement des secrets ?
R : Ecoutez, je peux affirmer, que je suis une des rares personnes, à qui le patriarche s’est ouvert, à qui il a parlé avec foi, conviction, engagement, colère, familiarité, message de postérité, révélations et recommandations. Les conditions dans lesquelles je l’ai rencontré, sont exceptionnelles et chargées d’émotions vives que l’on expérimente rarement dans le cours d’une vie. Il m’a attendu, il m’attendait, il s’est préparé avant de me parler.
Q : Apparemment vous n’avez pas le courage, ou alors l’envie d’en parler ici ?